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« Théodoros » (Theodoros), de Mircea Cartarescu, traduit du roumain par Laure Hinckel, Noir sur blanc, 624 p., 27 €, numérique 19 €.
Il est tout à fait possible de résumer Théodoros. Mais il faudrait le faire dix fois, au bas mot, et dix fois tout reprendre de zéro, passer par toutes les portes, les majestueuses et les dérobées, celles qui vous jettent au cœur du fracas, et celles qui vous conduisent dans des recoins silencieux, où le monde se dérobe soudain devant l’invisible. Raconter les bandits roumains, les pirates des mers grecques, les massacres, et dire la douceur élégiaque des lettres du héros à sa mère, l’ardeur de l’amour entre la reine de Saba et le roi Salomon. Ajouter que Dieu observe, et qu’il rit devant l’innocence et la cruauté humaines.
Aux premières pages, tout paraît clair. Un empereur du XIXe siècle, dans son palais cerné par les troupes ennemies, s’apprête à se donner la mort. C’est Théodoros, dont Mircea Cartarescu résume la vie au pas de charge, de sa Valachie natale à sa conquête de l’Ethiopie, dans une ouverture qui semble promettre au lecteur le mouvement classique d’ascension et de chute d’un roman d’aventures plein de rebondissements, mais somme toute sans surprises majeures.
A ceci près que le narrateur, d’emblée, trouble le jeu, racontant Théodoros à Théodoros, employant un « tu » à la fois familier et presque menaçant, non seulement omniscient mais à l’affût du protagoniste, comme prêt à bondir sur lui. Plus loin, il se présente, ou plutôt ils se révèlent, eux qui sont « si haut dans les sphères au-dessus de votre voûte bleue » qu’ils peuvent « suivre les histoires depuis l’époque où elles n’en formaient toutes qu’une seule ». Leurs noms ne sont prononcés qu’à la fin du livre, mais ils ne tardent pas à montrer leur nature. Ce sont les sept archanges qui se tiendront auprès de Dieu au jour du Jugement.
La machine narrative qui se met en place n’a dès lors d’autre fonction que d’entraîner le récit dans des embardées. Le déraillement devient la règle d’un livre qui accomplit sa promesse d’aventure avec une puissance narrative éblouissante – servie par la traduction de Laure Hinckel, impressionnante de précision et de force –, tout en devenant radicalement autre chose. C’est le propre des archanges, et de Cartarescu : les liens qu’ils tissent entre les histoires transcendent la logique commune. L’histoire de la reine de Saba prolonge, comme une évidence, le récit d’une enfance valaque. Le dénouement s’étend à l’humanité entière. Au passage, la vie de Théodoros se diffracte, chaque tribulation de chaque personnage se mêlant à elle, et il semble toujours s’agir de la même histoire – cette histoire que les archanges connaissent.
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